, lui préférant le vice-chancelier Mikhail Voroncov qu'ils estimaient plus ouvert à leurs visées et plus fidèle (il faut dire que ce dernier touchait de Versailles une substantielle rente annuelle). 50 Le marquis de L'Hôpital jugeait le favori « timide et pusillanime », dépourvu de tout sens « pour les affaires d'Etat » : « M. le chambellan Schowalow donne dans le bel esprit et dans l'établissement des académies », ajoutait-il non sans mépris. 51 Son successeur, le baron de Breteuil, reprenait sur le même ton : « Le désir le plus vif de ce favori est de vouloir passer pour le mécène de la Russie et d'acquérir en Europe la réputation d'homme d'esprit ». 52 Breteuil, qui n'aimait pas les Russes en général, reconnaissait toutefois un mérite à ?uvalov la probité -ce qui était fort rare à la cour d'Elizaveta -, 53 tout en proposant de le séduire par quelques marques d'honneur : « Le chambellan Schwalow n'est pas susceptible d'être tenté par l'argent, mais on pourrait le gagner un peu en flattant son amour-propre, [?] en l'admettant dans nos académies, nous satisferions cette vanité et il y serait très sensible, Paradoxalement, alors que tout aurait dû les rapprocher du Russe francophile, les diplomates chargés de rouvrir la représentation française à Saint-Pétersbourg donnent de ?uvalov, dans leurs rapports à leur ministre de tutelle, une image plutôt contrastée, voire franchement négative

«. La-somme-que-monsieur-de-woronzow, Je la crois de 250 mille livres, nous ne nous attendons pas, comme vous pouvez l'imaginer, à la voir acquise. Mais il faut que vous tâchiez de tirer de cette libéralité le meilleur parti qu'il sera possible », écrivait, dans une dépêche chiffrée du 6 octobre 1760, vol.63

M. Lettre-du-marquis-de-l'hôpital-À and . De-bernis, SPb. 1.11.1757, cité chez Rambaud A. (dir.), Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France depuis le traité de Westphalie jusqu'à la Révolution française, vol.2, p.67, 1890.

D. «-réponse-au-mémoire, instruction de Breteuil sur les différentes personnes de la cour de Russie, envoyée au baron de Breteuil le 31 janvier et joint à la dépêche n° 4 -joint à la dépêche n° 69, du 11 mars 1761, Correspondance politique, sous-série Russie, vol.66, p.294

, lesquels étaient souvent prêts à se vendre au ministre étranger le plus offrant afin de couvrir les énormes dépenses exigés par un train de vie somptuaire. Pourtant, tout comme eux, Suvalov jouissait d'une immense fortune et menait grand train, mais dans une cour où, de l'avis des résidents étrangers, « tout s'achète », il avait le mérite d'être incorruptible : « L'argent ne peut rien sur lui », finit par concéder Williams, cité par K. Walizewski (op. cit, Ce n'est certainement pas faute d'avoir essayé, mais l'ambassadeur britannique Williams était lui aussi arrivé à la conclusion qu'Ivan Suvalov n'était pas un Bestu?ev ou un Voroncov, vol.246, p.137

. Ibid, Une solution immédiatement rejeté par le ministre Choiseul : « Si nous admettions le chambellan dans quelqu'une de nos académies, il en deviendrait plus vain et n'en serait pas mieux intentionné » (lettre de Choiseul à Breteuil, datée du 18 mars 1761, AAE, Correspondance politique, sous-série Russie, vol.66

, un cadeau suggéré pour lui aux ministres de Louis XV par Mikhail Voroncov. 55 Qui plus est, Ivan ?uvalov reçut ce présent à contrecoeur, en faisant valoir à Voroncov que pareille gratification ne manquerait pas d'alimenter les critiques de la part des adversaires de l'alliance française : « J'ai été étonné par le désir qu'a sa majesté [Louis XV] de m'accorder en marque de sa gratitude quelques estampes. Autant ce geste est pour moi agréable, autant il offre à mes ennemis une raison de médire, en affirmant que je suis vendu aux Français, et ainsi de transformer en mal et en préjudice ce que j, le chambellan refusa toute gratification, à l'exception de la série de livres et recueils d'estampes mentionnée précédemment, p.56

, Avec le temps, Breteuil, bien plus fin politique que son prédécesseur, commença à se rendre compte que ?uvalov n'était pas le petit-maître francophile si décrié, mais qu'il avait des idées et des convictions et que ces dernières le plus souvent qui ne correspondaient pas aux visées de Versailles

, qu'il examine toujours sur l'échelle des cartes de la Russie, que sa vanité lui ferait encore étendre, s'il était possible ». 60 « On a pu se tromper un moment sur son goût par l'accueil qu'il a semblé faire aux personnes qu'on lui a dit qui avaient de l'esprit, ou à nos artistes, mais ces démonstrations sont de pure vanité ». 61 Fort de ce constat, le secrétaire aux Affaires étrangères, le comte de Choiseul tira un trait sur le soutien que ?uvalov pouvait apporter à la politique française : « Il nous semble que l'on ne peut compter sur ce favori, mais nous avons du moins un avantage, c'est que nos ennemis ne tireront pas parti plus avantageux que nous de sa faveur », 62 ce que Louis XV traduisait à sa façon : « Je suis fâché que M. Schwalow ait été mis dans le secret, puisqu'il ne nous aime pas ». 63 Bien plus lucide, si ce n'est même plus perspicace, le secrétaire d'ambassade à Saint-Pétersbourg, Jean-Louis Favier, notait que la passion de ?uvalov pour la France, « qu'elle soit sincère ou non, cela n'a pas d'importance, n'influence en aucune sorte 55 cf, Derrière sa « politesse ordinaire et son air de confiance » 57 , il voulait voir un être « arrogant », 58 « un homme terrible dans le détail, que rien n'arrache à son opinion » 59 , et qui « [disserte] beaucoup sur les intérêts et la grandeur des empires, vol.II, p.297, 1871.

C. Aae, . Politique, and . Sous-série-russie, , vol.65

C. Aae, . Politique, and . Sous-série-russie, , vol.63, pp.229-230

, Dépêche chiffrée à Choiseul, du 16 février 1762. AAE, Correspondance politique, sous-série Russie, vol.66

, Dans une dépêche chiffrée, en date du 2 août 1760, le baron Breteuil rapporte à Choiseul un entretien avec Ivan ?uvalov (cf. AAE, Correspondance politique, sous-série Russie, vol.63, pp.75-82

. Cf, dépêche chiffrée de Breteuil à Choiseul, en date du 5 septembre 1760, AAE, Correspondance politique, soussérie Russie, vol.63, pp.145-147

C. Aae, . Politique, and . Sous-série-russie, , vol.63

X. V. Dans-une-lettre-de-louis and J. Tercier, Correspondance secrète inédite de Louis XV sur sa politique étrangère avec le comte de Broglie, Tercier, etc. et autres documents relatifs au ministère secret, vol.1, p.272, 1866.

, 64 En effet, si durant la guerre de Sept ans Voltaire pouvait se vanter d'être devenu Russe -« Vous m'avez fait Russe », 65 écrivait-il au commanditaire de l'Histoire de Pierre le Grand, en août 1760 -, Ivan ?uvalov lui, tout francophile qu'il fût, n'avait pas oublié de demeurer russe. D'où le désarroi des diplomates français en poste à Saint-Pétersbourg lesquels, ne parvenant pas attirer le favori dans leur camp, le classaient systématiquement parmi leurs adversaires, p.66

, En fait, à notre connaissance, seul un texte a été publié (par l'historien russe, Pjotr Bartenev, en 1867) : il s'agit d'une instruction, adressée au commandement militaire russe, dans laquelle le favori insiste sur la nécessité absolue d'amoindrir la Prusse de Frédéric II, en qui il voyait un facteur de trouble permanent et de déstabilisation au coeur même de l'Europe. 67 Toutefois, afin de mieux apprécier les objectifs de ?uvalov, ce document doit être complété par la relation d'entretiens qu'eut avec lui sur ces mêmes sujets l'ambassadeur de France, Breteuil, en 1760. 68 La position défendue par ?uvalov a été retranscrite par Breteuil dans une dépêche à son ministre de tutelle, Pour comprendre la déception des diplomates français à l'égard de ?uvalov, il convient de rappeler, dans leurs grandes lignes, les projets du favori en matière de politique étrangère. Les documents reflétant ses idées dans ce domaine sont rares

, Pologne et Suède, qui n'étaient plus dorénavant que l'ombre d'eux-mêmes. D'autre part, alors que la France, exsangue, cherchait une sortie générale du conflit sans annexions, ?uvalov réaffirmait à Breteuil sa ferme volonté de poursuivre la guerre jusqu'au démantèlement de la Prusse, avec comme but avoué, non pas une expansion de la Russie en Allemagne, comme l'ont souvent affirmé les historiens russes, 69 mais un échange de territoires entre la Russie et la Pologne. En occupant la Prusse orientale

. Biélorussie, ?uvalov entendait faire d'une pierre deux coups : affaiblir la Prusse et régler le

O. Favje, , p.392

. Lettre-de-voltaire-À-ivan-?uvalov, Voltaire's correspondance. Genève-Oxford, 1953-1965, D. 9110 ; voir aussi, Th. Besterman (dir.), vol.5, p.1033

. Le-chambellan, Je suis en même temps persuadé qu'il ménage également l'Angleterre », notait le marquis de L'Hospital, ce qui à ses yeux équivalait à une véritable trahison, la peur de l'Angleterre étant à l'époque telle à Versailles que tous ceux qui étaient avec Londres étaient immédiatement considérés comme des ennemis (« Mémoire sur les ministres à la cour de Russie », m'a toujours bien traité et je le crois bien intentionné pour nous, vol.7

P. I. Bartenev, . ). Dir, I. I. Bumagi, and . Suvalova,

, Correspondance politique, sous-série Russie, vol.63, pp.75-82

E. V. Anisimov, , pp.341-342

. Contentieux-frontalier-qui-opposaient-la-russie and . La-pologne-depuis-le-xvii-e-siècle, Selon Breteuil, ce plan fut adopté, le 2/13 février 1761, par la conférence ministérielle, à laquelle participait dorénavant Suvalov. 70 Il va sans dire que le plan d'Ivan ?uvalov, eût-il été réalisé, aurait, sans aucun doute, modifié la face de l'Histoire en Europe centrale et orientale dans la deuxième moitié du XVIII e siècle

. Ce, I. De-sept-ans, and . ?uvalov, De fait, la coalition austro-franco-russe était trop hétéroclite, les liens trop frais, les intérêts trop divergents, pour résister à un conflit qui s'étiolait. La disparition de l'impératrice Elizaveta, en janvier 1762, et les changements radicaux successifs apportés dans la politique russe par Pierre III, puis Catherine II, donnèrent à Ivan ?uvalov la possibilité d'accomplir enfin son rêve : « Il se lamente de sa situation qui le prive de voyager, il regrette surtout de n'avoir jamais séjourné à Paris et, plus encore que le chancelier [Mikhail Voroncov], il envie la liberté et le doux climat de la France », notait déjà à son sujet, en 1761, le Français Jean-Louis Favier. 71 Après la mort d'Elizabeth, tombé en disgrâce, l'ancien favori cessa de jouer tout rôle politique majeur, 72 et il se vit contraint par la nouvelle impératrice, en 1763, à prendre la route de l'exil à l'étranger

F. Russe-en, et accessoirement aussi en Italie, jusqu'à son retour définitif dans son pays en 1777 seulement

, En réponse à un mémorandum de Louis XV présentant ses ouvertures en vue d'accéder à la paix, la conférence ministérielle fit répondre officiellement que la Russie demanderait la Prusse orientale comme indemnité pour sa participation à la guerre aux côtés de la France et de l'Autriche, tout en se déclarant prête à rétrocéder ce territoire à la Pologne en échange de l'Ukraine (cf. dépêche du baron de Breteuil, datée du 13 février 1761, AAE, Correspondance politique, sous-série Russie, vol.66, pp.166-167

.. L. Favje-zh, , p.392

A. Nivière, . Ekaterina-ii-i-ivan-ivanovi?, and . Suvalov, Filosofskij vek, vol.8, pp.162-176

, Sur les raisons du séjour d'Ivan Suvalov à l'étranger, de 1763 à 1777, voir Nivière A., « Ivan Ivanovi? Suvalov i ego francuskie korrespondenty, Filosofskij vek, vol.8, pp.177-187