Qu’est-ce qu’une collectivité territoriale?
“Faute de conceptualisation élaborée, le législateur peut plus facilement remettre en cause certains de leurs attributs et les collectivités territoriales apparaissent finalement moins bien protégées sur le plan constitutionnel”. (L. Janicot, RFDA 2011, p. 227)
Dans la décentralisation territoriale, l’autorité locale qui reçoit les pouvoirs transférés constitue une collectivité territoriale. La Constitution haïtienne du 29 mars 1987 dispose que: “les collectivités territoriales sont la section communale, la commune et le département” (art. 61). Cet article nous présente une liste de collectivités territoriales mais ne nous renseigne pas sur la nature d’une collectivité territoriale. La même Constitution précise que “la loi peut créer toute autre collectivité territoriale” (art. 61-1). Cette disposition, loin de préciser la nature d’une collectivité territoriale, en fait une institution mouvante, extensible dans le temps selon le bon plaisir du législateur. Il est donc nécessaire, pour sortir du flou juridique et mieux protéger leurs droits sur le plan constitutionnel de se poser cette question: qu’est-ce qu’une collectivité territoriale?
Il y a un faisceau d’indices qui permettent de qualifier une collectivité territoriale. On peut citer principalement: la personnalité morale de droit public, le territoire et la population, le pouvoir général de décision, le contrôle de l’État et l’autonomie administrative.
Une collectivité territoriale est une personne morale. Comme toute personne morale – de droit public ou de droit privé – elle possède les attributs de la personnalité juridique. Elle a un nom, un domicile (territoire de la colectivité), un patrimoine, une nationalité (collectivité territoriale haïtienne ou française), la capacité juridique (droit de conclure des contrats par exemple), le droit d’ester en justice.
En plus de ces attributs cités précédemment, qu’elle partage avec les personnes morales de droit privé (une société commerciale par exemple), une collectivité territoriale a d’autres caractéristiques qui sont propres aux personnes morales de droit public. Sa création procède exclusivement de l’autorité publique, les particuliers ne sont pas libres d’y adhérer ou pas. Le fait de résider dans tel lieu, on appartient d’office à la section communale, à la commune et au département où se trouve son domicile légal. Les buts d’une collectivité territoriale sont d’intérêt local et pour défendre l’intérêt général elle jouit de prérogatives de puissance publique (pouvoir d’agir par voie d’autorité). Un maire peut, par exemple, requérir la force publique pour chasser des individus qui occupent illégalement la voie publique au niveau de sa commune aussi déplaisant que cela puisse être pour les intérêts privés.
Le territoire et la population matérialisent l’existence d’une collectivité territoriale. Une section communale, une commune ou un département a une délimitation géographique. Sa compétence est limitée dans ce cadre territorial et les habitants de ce territoire sont ses administrés. On peut trouver des communes qui n’ont pas de population et qui ont tout de même un statut de collectivité territoriale. Ce statut a souvent une valeur symbolique liée à l’histoire. C’est le cas en France par exemple. En Haïti, il n’y a pas de commune inhabitée.
Un autre élément qui caractérise une collectivité territoriale est le pouvoir général de décision. À noter que ce pouvoir est exercé quand il y a une compétence que le législateur a omis d’attribuer à un organe. Le pouvoir général de décision différencie une collectivité territoriale d’un établissement public. Alors que la commune a une compétence générale pour tout ce qui concerne l’intérêt local, un hôpital ou une université publique est liée par le principe de spécialité. Ces établissements publics doivent rester dans le cadre de leur mission.
Une collectivité territoriale n’est pas une entité indépendante de l’État, elle en fait partie. L’État exerce sur la collectivité le contrôle de légalité. Dans le cadre de ce contrôle, le représentant du gouvernement – le délégué (équivalent du préfet en France) – ne peut intervenir dans la vie de la collectivité que dans la mesure où il est à même de se prévaloir d’une disposition légale expresse. C’est la différence avec le pouvoir hiérarchique. Un chef hiérarchique exerce sur ses subordonnés les pouvoirs d’instruction, de réformation et d’annulation. Le contrôle de légalité des actes comprend le pouvoir d’annulation, d’autorisation et d’approbation dans le cadre de la loi et jamais pour motif d’opportunité. Un maire qui estime que le délégué commet un excès de pouvoir peut saisir le juge administratif pour demander l’annulation de la décision du représentant du gouvernement. En Haïti, la juridiction administrative est assurée par la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif.
L’élément essentiel qui caractérise une collectivité territoriale est l’autonomie administrative ou libre administration. Comme on l’a vu dans le précédent article sur la décentralisation, l’autonomie administrative en est le principe central. L’autonomie rejoint la notion de personnalité morale développée dans les lignes précédentes. La personnalité morale implique l’autonomie. C’est parce que le législateur veut accorder une plus grande autonomie aux collectivités territoriales qu’il leur confère la personnalité morale.
Cependant, un institution peut être autonome sans avoir la personnalité morale. Par exemple, une institution publique peut créer un service spécialisé à qui elle accorde une certaine autonomie administrative, ce qui se traduit par l’adoption d’un budget annexe. Une collectivité territoriale jouit à la fois de la personnalité morale et de l’autonomie.
Les collectivités territoriales créées par la constitution haïtienne correspondent-elles aux critères caractérisant une collectivité territoriale du point de vue de la théorie du droit? Au regard du faisceau d’indices identifés précédemment, en Haïti, seule la commune mérite vraiment le titre de collectivité territoriale. La section communale s’apparente à une collectivité territoriale d’exception (I), le département fait figure de collectivité territoriale virtuelle (II).
I.- La section communale, une collectivité territoriale d’exception
Du point de vue du droit des collectivités territoriales, la section communale représente l’exception qui confirme la règle. Elle est l’unique “collectivité territoriale” à qui la constitution haïtienne n’a pas accordé l’autonomie. En accordant l’autonomie à la section communale, les décrets-lois de 2006 vont à l’encontre de la constitution en vigueur. La section communale doit être pensée dans le cadre de l’institution communale. C’est cette lecture que commande à la fois l’analye de la constitution et l’histoire constitutionnelle.
Dans l’histoire constitutionnelle haïtienne, la constitution de 1987 est la première constitution qui a fait mention du terme “section communale”. Avant sa promulgation, on parlait de section rurale.
Le terme “section rurale” a été introduit pour la première fois dans la constitution du 25 novembre 1950. Aucune des constitutions précédentes n’en faisait mention, alors que les sections rurales existaient depuis la création de l’État d’Haïti, comme subdivision militaire. Chaque section rurale était dirigée par un chef de section nommé par l’armée d’Haïti; garantissant ainsi un contrôle de l’institution militaire sur l’ensemble du territoire.
Dans la constitution du 25 novembre 1950, la section rurale est présentée comme une subdivision de la commune organisée dans le cadre de l’institution communale en vue de l’inclusion sociale des masses paysannes (const. 1950, art. 2 et 123). Les constituants de 1987 ont sans doute voulu donner cette même vocation à la section communale. C’est pourquoi, ils ne lui ont pas donné l’autonomie alors qu’ils l’ont accordée à la commune et au département (const. 1987, art. 66 et 77).
Par conséquent, on devrait penser l’organisation de la section communale dans le cadre de la commune. Ainsi, chaque Conseil d’Administration de la Section Communale (CASEC) pourrait choisir son président ou un de ses membres pour représenter la section communale au niveau de l’Assemblé communale. Le CASEC est déjà élu par les habitants de la section communale, faire une autre élection pour élire des représentants de la section au niveau de l’Assemblée communale – comme prévu au niveau des décrets-lois de 2006 – n’est pas logique ni sur le plan jurique, ni sur le plan administratif. Et c’est économiquement inefficace.
La présence du président du CASEC au niveau de l’Assemblée communale pourrait permettre une vrai inclusion, alors que les dispositions des décrets-lois de 2006 favorisent à la fois l’exclusion de la section communale et l’affaiblissement de la commune. Par sa présence à l’Assemblée communale, le président du CASEC veillera à ce que le conseil communal mette en place un développement inclusif au niveau de l’ensemble de la commune. En retour, le CASEC veillera à l’application de la politique communale au niveau de la section communale.
II.- Le département, une collectivité territoriale virtuelle
Héritage de la France républicaine, le département est une institution vieille de plus de deux siècles. Cette institution a été exportée dans les colonies françaises et territoires annexés par la France.
Dans la première constitution de la colonie de St Domingue (actuelle Haïti), le département a été retenu comme division du territoire (const. juil. 1801, art. 2). Après la proclamation de l’indépendance d’Haïti, la constitution de 1806 maintiendra la division du territoire en département.
La constitution de 1987 fait du département une collectivité territoriale (art. 61). Cependant, c’est une collectivité territoriale “virtuelle” car depuis la promulgation de la constitution en vigueur, les organes de cette collectivité territoriale ne sont toujours pas mis en place. Il a fallu attendre 2006 pour qu’un décret-loi organise la collectivité départementale. Mais la complexité du mode de scrutin des organes et la bureacratie mise en place explique sans doute, en partie, le dysfonctionnement constaté entre le dit décret-loi et la réalité.
Il faudrait modifier le mode de scrutin prévu par le décret-loi de 2006 sur le département afin de rendre les organes fonctionnels juridiquement et efficaces sur le plan économique et administratif. Il n’est pas nécessaire de faire une élection spécifique pour l’Assemblée départementale: les maires du département devraient en faire partie d’office. L’Assemblée départementale, composée des maires de la commune, élira le Conseil départemental.
Aucune disposition constitutionnelle, aucun principe juridique, n’exige à ce que chaque organe des collectivités territoriales soit représenté par des élus différents. On peut avoir des élus qui siègent dans différents organes. Il est seulement interdit d’être membre à la fois de l’organe délibérant et de l’organe exécutif d’une même collectivité. Par exemple, on ne peut pas être à la fois membre de l’Assemblée communale et membre du Conseil communal; ce serait être à la fois juge et partie. En revanche, on peut être simultanément membre du CASEC et membre de l’Assemblée communale.
En résumé, une collectivité territoriale est une personne morale de droit public jouissant sur son territoire de la compétence générale pour tout ce qui concerne l’intérêt local. Elle est administrée par des organes délibérants élus. La mise en place des organes des collectivités territoriales est nécessaire pour une décentralisation effective. Cela passe notamment par une révision du cadre légal.
