Mettre la science en théâtre, ce n’est certes pas une idée nouvelle. Deux auteurs que nous côtoyons depuis un certain nombre d’années se sont essayés à l’exercice, avec des ambitions et des moyens très différents. En 1879, Dodgson, alias Lewis Carroll, publiait Euclid and his modern Rivals, tandis que Kurd Lasswitz faisait paraître Prost. Der Faust-Tragödie (-n)ter Teil en 1882. L’un avait pour objectif certain de défendre Euclide, l’autre semblait vouloir le faire. L’un ressortit sans doute à la littérature de vulgarisation, l’autre, créé sous les auspices de l’association des mathématiciens de Breslau, était dévolu à la sociabilité facétieuse des mathématiciens. L’un ne fut jamais joué, l’autre dut égayer l’une ou l’autre soirée arrosée dont il ne reste guère de traces. Cependant, les deux textes ne manquent pas de sérieux. Lasswitz tient un langage littéraire pour asseoir l’autonomie des mathématiques. Dodgson écrit une pièce résolument euclidienne. Celle de Lasswitz est riemanienne, et si l’infini en est l’horizon, c’est un infini très peu enclin aux vertiges, qu’ils soient philosophiques ou esthétiques.