Sous la pression des crises économiques récurrentes et d’un environnement concurrentiel en perpétuel mouvement, le salariat constitue désormais une variable d’ajustement pour les organisations. La promesse de la sécurité de l’emploi tient alors du fantasme de la prospérité ou du temps révolu de l’insouciance. À cela, s’ajoute la quête d’un épanouissement personnel, comme pour compenser ce que la société moderne et le monde du travail ne peuvent plus procurer à eux seuls. En première ligne de cette bataille à la performance, les cadres ne sont plus épargnés par cette précarité de l’emploi. Ils doivent plus que jamais développer des aptitudes et puiser dans leurs ressources, pour s’adapter à la flexibilité opportuniste du marché du travail. Portant en elles les stigmates de cette ère complexe et mouvante, leurs trajectoires professionnelles sont devenues un objet d’étude pour bon nombre de praticiens et de chercheurs en Ressources Humaines. Le terme de « mobilité professionnelle » occupe alors le devant de la scène au point que certains experts en font leur métier. Au même titre que des cabinets conseillent les organisations dans la conduite du changement, d’autres accompagnent les cadres dans le pilotage de leur trajectoire professionnelle. La mobilité, qu’elle soit géographique, interne ou externe à l’entreprise, se définit comme un changement des modalités d’exercice de l’activité professionnelle d’un individu. Certains cadres brisent les chaînes de la carrière traditionnelle, linéaire et mono-entreprise, et font de leur mobilité une constante, non pas subie mais volontaire. Si nous déroulons le fil de ces trajectoires nomades, leur discontinuité atypique ne cache-t-elle pas au contraire le schéma d’une forme émergente et typique de carrière ? Si le marché du travail contraint les cadres à cette flexibilité, il peut paradoxalement lui reprocher un certain caractère instable et fluctuant. Il ne suffit donc plus d’être capable de s’adapter ou de se mouvoir d’un emploi à un autre, il faut que le parcours en lui-même fasse sens. Au gré des changements, le cadre nomade effectue alors un voyage au cœur de son identité professionnelle. Dans une démarche de subjectivation de sa carrière, chacune de ses expériences constitue une étape dans la construction d’un sens intrinsèque à son travail. Il évolue dans un écosystème, avec lequel il interagit sans cesse. Nourri du passé, actif dans le présent et tourné vers l’avenir, l’individu acteur se responsabilise de ses choix professionnels et signifie rétroactivement la raison de ceux-ci. En décryptant ce processus d’élaboration du sens au travers de la mobilité, est-il possible d’en modéliser les ressorts ? Les critères d’avancement dans une carrière nomade sont indéniablement liés à un apprentissage continu, dans l’action. S’il reste intéressant d’approfondir les nombreux travaux engagés sur la mobilité des cadres contemporains, il n’en est pas moins original d’y associer précisément la compétence du savoir-apprendre. En effet, son adaptabilité permanente à un environnement mouvant requiert la mobilisation intelligente de ses ressources, au-delà du savoir être et du savoir-faire. Le cadre devient alors acteur d’une mobilité dite apprenante, par son statut de sujet qui apprend, ainsi que par son action d’apprendre, de sa propre expérience, de celle des autres ou d’enseignements divers. Cette attitude d’apprenance est-elle un moteur de développement personnel ou justement une garantie d’employabilité ?