Au carrefour de l’anticipation, du voyage dans le temps, de la fiction préhistorique et du récit survivaliste, le manga Dr. Stone scénarisé par Riichiro Inagaki et dessiné par Boichi illustre une forme étonnante de rétrofuturisme. Statufiée en 2017, une partie de l’humanité mise en scène dans le manga est dépétrifiée en l’an 5738 alors que la civilisation s’est effondrée et que le monde est revenu à l’âge de pierre. Dr. Stone repose sur un anachronisme d’abord ludique : les personnages mis en scène cherchent en effet à utiliser leurs connaissances modernes des sciences et techniques dans un chronotope où il est matériellement difficile de les mettre à profit, tout en jouant à bouleverser la chronologie millénaire du progrès. Forte de ses connaissances, cette humanité revenue à la vie cherchera à rebâtir, en accéléré et sur le modèle des niveaux successifs d’un jeu vidéo, la civilisation scientifique. La présente communication questionnera le paléofuturisme de Dr. Stone, lequel trouve principalement à s’incarner dans les multiples fétiches – smartphone, automobile, drone, etc. – de l’époque à laquelle il s’agit perpétuellement de faire référence: la nôtre. Il s’appuie ainsi sur une forme de néopositivisme nostalgique, non pas de la vision du progrès qu’avaient les habitants du passé, mais de ce passé lui-même comme somme de toutes les inventions de l’humanité, un passé qui est, pour nous lecteurs, notre présent, dès lors transformé en Âge d’or. Dr. Stone fait aussi figure de réécriture d’une Histoire téléologique de l’humanité à partir d’un nouveau centre du monde, le Japon, pays au sein duquel se réveille l’homme providentiel qui (re)conduira la civilisation vers le progrès: Senku, protagoniste du manga. C’est finalement une forme conservatrice de pensée stonepunk qui sera à interroger: que signifie, au tournant des décennies 2010-2020, ce refus d’habiter le monde en homme préhistorique?