Le chapitre explore la manière dont l'œuvre de l'artiste et réalisatrice Chantal Akerman met en jeu le concept de "désinstallation" dans ses installations artistiques, qu'il convient d'aborder non comme un simple prolongement de ses œuvres cinématographiques, mais comme un champ distinct et réfléchi d'interrogation esthétique. Cette désinstallation est conçue comme une mise à distance des attentes du spectateur et de ses habitudes perceptives, notamment celles héritées des dispositifs immersifs traditionnels ou de la linéarité narrative du cinéma classique. En interrogeant la présence du spectateur tout autant que l'absence des objets, Akerman parvient à une esthétique qui refuse l'immersion comminatoire (que l'on pourrait trouver dans des dispositifs contemporains d'installations multisensorielles) au profit d'un arpentage poétique et théorique, où le regardeur se trouve placé en situation d'explorateur de fragments et d'espaces disjoints, plutôt qu'absorbé dans un environnement totalisant. L'idée de "désinstallation", développée à travers le corpus d'Akerman, se distingue ainsi de l'installation traditionnelle en ce qu'elle ne repose pas sur la simple mise en espace d'artefacts mais propose une véritable mise en scène dialectique entre ce qui est montré et ce qui est absent. Cette dialectique se manifeste dans le jeu constant entre la présence des arpenteurs, les spectateurs mobiles qui se déplacent à travers l'espace de l'installation, et l'absence des corps représentés ou évoqués par les images et les sons. Par ce biais, Akerman réussit à maintenir une tension productive entre les attentes de l'immersion — souvent alimentées par les discours critiques contemporains autour de ses œuvres — et la résistance à cette immersion, qu'elle qualifie implicitement de captative et de réductrice. Cette tension est renforcée par une esthétique du fragment et de la durée, qui renvoie à la structure délibérément ouverte de ses installations, laissant le spectateur libre de créer son propre parcours poétique et sémantique, à l'image de l'arpenteur qui recompose les éléments narratifs à mesure qu'il se déplace dans l'espace. L’œuvre d'Akerman, notamment à travers des pièces comme *From the Other Side* ou *NOW*, montre comment cette pratique de la désinstallation engage une réflexion plus large sur les thèmes de l'exode, du déplacement, et de l'impossibilité du retour, des thématiques récurrentes dans ses travaux. Ces installations jouent ainsi sur une certaine forme de spectralité, où l'absence de corps représentés devient le motif central d'une réflexion sur la mémoire, l'exil et la mort. Dans cette optique, Akerman ne propose pas une simple déconstruction des formes traditionnelles de représentation mais une remise en cause plus profonde des modes de présence et d'absence, à la fois physiques et psychiques, dans l'espace de l'art contemporain. En ce sens, la désinstallation pourrait être vue comme une réponse critique aux dispositifs immersifs du spectacle intégré, tels que définis par Guy Debord, en ce qu'elle oppose à la captation sensorielle une esthétique de la séparation, de la distance et de la conscience réflexive. La notion de "désinstallation" devient ainsi centrale pour comprendre l'évolution du travail d'Akerman, qui, loin de se contenter d'adopter des formats muséaux ou d'art contemporain pour prolonger ses expérimentations filmiques, interroge activement les conditions mêmes de l'expérience spectatorielle et la relation entre l'œuvre et son public. Les installations d'Akerman, par leur structure éclatée et leur refus de toute linéarité imposée, demandent au spectateur non seulement de s'engager physiquement dans l'espace mais également de participer activement à la construction de sens, tout en prenant conscience de l’impossible réconciliation entre présence et représentation. Cette approche permet d'ouvrir une réflexion critique sur les conditions de production et de réception de l'art à une époque où la multiplication des dispositifs immersifs tend à réduire le rôle critique du spectateur à celui d’un consommateur passif. Akerman nous invite au contraire à un retour sur soi, à une exploration introspective, où l'absence devient source de création et de réflexion, loin des impératifs du spectaculaire et du divertissement.